L'invention concerne un procédé d'extraction d'huile de
graines oléagineuses, en particulier graines de tournesol entières.
Par "oléagineuse", on entend aussi bien les graines
oléagineuses à proprement parler (c'est-à-dire riches en triglycérides), que les
graines protéo-oléagineuses (c'est-à-dire riches en triglycérides et en protéines),
et que les graines non spécialement connues pour être des oléagineuses mais
contenant des triglycérides. Par "graines", on entend tout type d'organe d'une
plante dans lequel sont stockés des lipides (graines, fèves, germes, pépins,
amandes....). L'invention s'étend à un dispositif spécialement conçu pour la mise
en oeuvre du procédé.
Traditionnellement, l'extraction d'huile à partir de graines
oléagineuses est effectuée par un pressage consistant à soumettre les graines à un
traitement mécanique d'écrasement afin d'exprimer l'huile contenue dans celles-ci
(A. Williams, "Extraction of lipids from Natural Sources", Lipid Technologies
and Applications, F.D. Gunstone et F.B. Padley Editor, Marcel Decker INC,
1997, Chapitre 5, pp 113-135). Ce pressage peut être obtenu au moyen de divers
dispositifs, en particulier presses et dispositifs à vis d'écrasement. La première
huile exprimée par pressage est une huile de qualité dite "huile vierge", mais les
rendements d'extraction de cette huile vierge sont limités (plafond autour
de 70 % pour une huile de première pression) ; ces rendements augmentent
légèrement avec une augmentation de la température mais la qualité et la stabilité
de l'huile obtenue décroít alors en raison des réactions de dégradation qui se
développent au coeur de celle-ci et s'amplifient considérablement à partir de
100°/110°C.
Pour accroítre le rendement d'extraction, il est possible
d'effectuer une succession de pressages en augmentant les températures et/ou
d'assurer une extraction secondaire au moyen d'un solvant (hexane, alcool...).
Les inconvénients de ces procédés résident, en premier lieu, dans la diminution
de la qualité des huiles extraites (présence de phospholipides, de produits
d'oxydations et de cires) exigeant une opération ultérieure de raffinage, d'autre
part, dans la complexité et le coût du procédé comprenant plusieurs opérations
successives.
Les opérations de raffinage classiques comprennent
essentiellement une opération de démucilation pour éliminer de l'huile les
gommes qui constituent les sous-produits les plus gênants et les plus polluants
(J. Denise, "Dégommage ou démucilagination", Le Raffinage des corps gras, Les
Editions du Beffrois, 1984, pp 55-60). Cette démucilation est généralement
obtenue par un traitement acide des huiles extraites (le plus souvent au moyen
d'acide citrique, ou d'acide phosphorique aqueux ou d'un mélange des deux). Ce
traitement acide combiné à un lavage à l'eau assure la précipitation et
l'élimination des gommes en réagissant avec les cations Ca++ ou Mg++ des
phospholipides responsables desdites gommes.
Il est par ailleurs connu d'utiliser des dispositifs bi-vis
comprenant deux vis copénétrantes pour extraire par pressage de l'huile de
graines oléagineuses : WO 97/43113 et FR 2.747.128 présentent par exemple des
dispositifs bi-vis pour le pressage de graines.
La présente invention se propose de pallier les
inconvénients précités des procédés classiques d'extraction d'huile. L'objectif
essentiel de l'invention est de réaliser une extraction d'huile à partir des graines
oléagineuses en une seule étape, avec des rendements d'extraction en huile de
qualité, très supérieurs aux rendements de première pression des procédés
classiques ou aux rendements actuellement obtenus au moyen des dispositifs bi-vis.
Un autre objectif est de supprimer la nécessité des
opérations ultérieures de raffinage qui renchérissent les procédés d'extraction
connus ou, en tout cas, de réduire le coût de ces opérations.
Un autre objectif est d'obtenir un co-produit solide
beaucoup plus facile à valoriser que celui qui est issu des procédés de pressages
traditionnels.
Un autre objectif est d'indiquer un procédé susceptible
d'être mis en oeuvre à des conditions de température plus douces que les procédés
traditionnels afin de limiter considérablement les réactions de dégradation de
l'huile.
A cet effet, le procédé d'extraction visé par l'invention est
du type dans lequel on introduit les graines dans un dispositif bi-vis comprenant
deux vis copénétrantes tournant dans une enceinte tubulaire en vue de les
soumettre à un traitement thermomécanique, on soutire la phase liquide
contenant l'huile, et on recueille la phase solide restante ; le procédé conforme à
la présente invention se caractérise en ce qu'on injecte dans le dispositif bi-vis un
alcool et de l'acide phosphorique ou un sel de cet acide en vue de combiner au
traitement thermomécanique une action chimique de déstructuration des lipides
membranaires des graines.
Les expérimentations ont permis de constater que lorsque
l'on combine un pressage par dispositif bi-vis connu en soi, à une réaction
chimique par l'acide phosphorique en présence d'alcool, on obtient une
amélioration considérable du rendement de pressage. L'alcool joue le rôle de
vecteur organique assurant le transport de l'acide phosphorique vers les lipides
membranaires des graines. Les études des inventeurs ont montré que cette
amélioration du rendement provenait de l'action de l'acide phosphorique sur les
membranes lipidiques cellulaires des graines : ces membranes sont fragilisées par
l'acide qui, combiné à l'action mécanique, les dissocie supprimant les barrières
diffusionnelles qui s'opposent à l'expression des triglycérides.
Le milieu réactif doit être peu hydraté (hydratation égale ou
inférieure à l'hydratation naturelle des graines), et l'alcool et l'acide phosphorique
utilisés sont avantageusement anhydres ou peu hydratés.
De préférence, la proportion pondérale d'alcool par rapport
aux graines est choisie sensiblement comprise entre 50% et 200% et la
proportion pondérale d'acide phosphorique ou sel par rapport auxdites graines est
sensiblement comprise entre 5% et 50%. Ces proportions correspondent à une
efficacité optimale du transport de l'acide phosphorique par l'alcool et à une
efficacité optimale de l'action de l'acide phosphorique. On peut avantageusement
réaliser un mélange préalable de l'acide phosphorique ou sel sous forme
cristallisé dans l'alcool sous forme liquide, ce mélange étant injecté dans le
dispositif bi-vis en aval de la zone d'introduction des graines.
Il est à noter que, dans le procédé de l'invention, l'alcool
participe également à l'extraction par son rôle connu de solvant ; toutefois,
compte tenu des proportions préconisées, ce rôle de solvant est secondaire, et le
rôle essentiel de l'alcool est de transporter l'acide phosphorique qui, par son
action de destructuration, prépare la graine à l'expression mécanique de l'huile.
Ainsi, le procédé de l'invention conduit à des huiles de
qualité (qualité égale ou supérieure aux huiles de premier pressage) avec des
rendements beaucoup plus élevés (de l'ordre de 90%). Cette obtention d'une huile
de qualité ne nécessitant aucune opération de raffinage peut être expliquée par le
mécanisme d'intervention de l'acide phosphorique (en l'absence d'eau ajoutée) :
en milieu essentiellement organique, les phospholipides qui constituent le
composé le plus polluant indésirable s'associent avec l'acide phosphorique et
conduisent à un complexe phosphoré hydrophile qui reste dans la phase solide
hydrophile ; l'huile extraite, hydrophobe, se trouve naturellement débarrassée de
ce polluant sans opération ultérieure.
Selon un mode de mise en oeuvre préféré, on régule la
température de l'enceinte du dispositif bi-vis de façon à ajuster la température du
mélange graine/alcool/acide phosphorique ou sel dans une plage sensiblement
comprise entre 50° C et 100° C. Cette plage de températures modérées conduit
aux excellents rendements précités, sans risque de réactions parasites (se
produisant au-delà de 100°C/110°C). On évite ainsi l'apparition d'autres produits
contaminants (ayant pour conséquence une réduction du rendement d'extraction
et une diminution de la qualité de l'huile) et des dégradations des triglycérides les
plus fragiles (triglycérides insaturés notamment).
En particulier, le procédé de l'invention est bien adapté
pour l'extraction des huiles des graines entières de tournesol qui sont très riches
en triglycérides insaturés.
L'huile extraite contient une certaine quantité d'alcool. Il est
possible dans certaines applications d'utiliser directement le mélange huile/alcool
obtenu par exemple comme réactif de départ de certaines réactions lipochimiques
; il est également possible de soumettre la phase liquide après soutirage à une
opération de séparation de l'alcool, en particulier par distillation. (Cette opération
classique est peu coûteuse et est opérée avant raffinage dans les procédés
classiques pour éliminer le solvant). De préférence, on utilise dans le procédé de
l'invention un alcool à chaíne courte ayant un nombre de carbone inférieur ou
égal à 12, qui est plus facile à éliminer par distillation ; il est à noter que le
méthanol et l'éthanol peuvent être utilisés en cas de mise en oeuvre à basse
température en raison de leur faible température d'ébullition.
Le procédé de l'invention conduit à des coproduits solides
qui sont recueillis dans la zone terminale du dispositif bi-vis, caractérisés par une
faible teneur en triglycérides (de l'ordre de 2 à 3 fois inférieure aux teneurs
résiduelles des procédés d'expression classique) : ces coproduits sont ainsi plus
faciles à valoriser, car les triglycérides représentent généralement une gêne pour
réaliser cette valorisation et un facteur de réduction de leur stabilité
(rancissement dans le temps).
Le procédé de l'invention est de préférence mis en oeuvre
dans un dispositif bi-vis comprenant une zone, dite de cisaillement, dotée de
malaxeurs de cisaillement, suivie d'une zone, dite d'écrasement, dotée de
malaxeurs d'écrasement, l'alcool et l'acide phosphorique ou son sel étant injectés
en amont de la zone de cisaillement. Une zone de soutirage pourvue d'un filtre
comporte un ou des modules de compression axiale (contrefilets ajourés situés en
aval du filtre) pour assurer la sortie de l'huile à travers le filtre. L'action
mécanique de cisaillement livre les membranes lipidiques cellulaires à l'action de
l'acide phosphorique, et l'action mécanique d'écrasement assure ensuite
l'extraction de l'huile libérée des barrières membranaires.
L'invention s'étend à un dispositif bi-vis spécialement
conçu pour la mise en oeuvre du procédé précité. Ce dispositif comprend une
enceinte tubulaire, des moyens de régulation thermique de ladite enceinte, des
modules bi-vis à deux vis co-pénétrantes, une entrée de graines à une extrémité
amont, une sortie de matières solides à une extrémité aval, des moyens de
soutirage de liquide pourvus d'un filtre et situés en amont de la sortie de matières
solides ; selon l'invention, ce dispositif se caractérise en ce qu'il comprend, d'une
part, des moyens d'injection d'alcool et d'acide phosphorique ou sel, situés en
aval de l'entrée de graines, d'autre part, et des malaxeurs de cisaillement et
malaxeurs d'écrasement situés entre ces moyens d'injection et les moyens de
soutirage de liquide.
L'invention est illustrée par les exemples qui suivent, mis
en oeuvre dans un dispositif bi-vis tel que représenté aux dessins ; sur ces
dessins :
- la figure 1 est une représentation longitudinale
symbolique dudit dispositif bi-vis,
- la figure 2 en est une coupe transversale par un plan A.
Le dispositif a été réalisé à partir de modules
commercialisés par la Société "CLEXTRAL" (marque déposée) sous la référence
générale "BC21". Chaque module comprend une enceinte tubulaire à double
paroi 1 et 2 qui permet une régulation thermique du coeur de l'enceinte où sont
logés les organes actifs. Certains modules sont du type comprenant deux vis
identiques copénétrantes, à pas direct ou à pas inverse, d'autres du type
comprenant des malaxeurs de cisaillement composés de disques bilobes, d'autres
du type comprenant des malaxeurs d'écrasement composés de disques
monolobes. Les divers modules sont entraínés en rotation en synchronisme par
un moteur électrique 3 permettant d'obtenir une vitesse de rotation de son arbre
de sortie pouvant atteindre 600 tr/min Dans les exemples, la vitesse de rotation
choisie est de 125 tr/min.
Le dispositif comprend essentiellement les zones
fonctionnelles suivantes (d'amont en aval) :
- une entrée de graines E, comprenant une trémie 4
d'alimentation en graines et un module de bi-vis à pas direct 5,
- une zone d'injection Zi d'une solution d'acide
phosphorique ou de son sel dans de l'alcool, comprenant un conduit 6 doté d'une
pompe 7 d'injection de la solution, et un module de bi-vis à pas direct 8,
- une zone de cisaillement Zc, combinant des malaxeurs
de cisaillement 9 et 10, et des modules de bi-vis à pas direct tels que 11, de pas
décroissant de l'amont vers l'aval,
- une zone d'écrasement Ze, combinant un ou des
malaxeurs d'écrasement 12 et des modules de bi-vis à pas direct tels que 13, de
pas décroissant de l'amont vers l'aval,
- une zone de soutirage de la phase liquide Sℓ , combinant
des modules de bi-vis à pas direct de pas décroissant tels que 14, un filtre 15, une
sortie de liquide 16, et un module bi-vis à pas inversé 17, (contrefilets ajourés)
réalisant une compression axiale en aval du filtre 17,
- et une zone terminale de recueil des matières solides St,
comprenant des modules de bi-vis à pas direct tels que 18 et une sortie 19 de
l'extrudat.
Ce dispositif a été utilisé dans tous les exemples qui
suivent, avec un débit de graine fixé à 8 kg/h. Les graines utilisées sont des
graines de tournesol oléique (variété "Olbaril") à 52 % d'huile par rapport à la
matière sèche et à 5,7 % d'humidité. L'alcool utilisé est le 2-éthyl hexanol et
l'acide phosphorique à 99 % de pureté est préalablement dissout dans l'alcool
avant injection du mélange. Dans chaque exemple, on réalise au préalable une
expression de l'huile sans injection d'alcool et/ou d'acide phosphorique. Les
résultats de rendement d'extraction et de pureté de l'huile extraite sont comparés.
EXEMPLE 1:
Les conditions particulières dans cet exemple sont les
suivantes :
- ratio acide phosphorique/graine : 130 % en poids par
rapport à la graine,
- ratio alcool/graine : 24 % en poids par rapport à la
graine.
La température est régulée à la consigne de 80° C.
Le filtrat récupéré est centrifugé à 3500 tr/min pendant 1
heure afin de séparer les particules solides passées par le filtre, qui composent le
pied de l'huile. La masse d'huile surnageante est pesée. Le rendement d'extraction
en huile est calculé après dosage des triglycérides et la teneur en phospholipides
de l'huile est déterminée.
Conditions opératoires | Rendements d'extraction (en % par rapport à l'huile dans la graine) | Teneur en phospholipides (mg de phosphore par kg d'huile) |
Sans injection d'alcool ou d'acide phosphorique | 69 | 235 |
Avec injection d'alcool et d'acide phosphorique | 88 | 29 |
Cet exemple illustre les performances du procédé en terme
de rendement d'extraction à basse température et de pureté de l'huile extraite.
EXEMPLE 2 :
Les conditions particulières dans cet exemple sont les
suivantes :
- ratio acide phosphorique/graine : 195 % en poids par
rapport à la graine,
- ratio alcool/graine : 24 % en poids par rapport à la
graine.
La température est régulée à la consigne de 90° C.
Le filtrat récupéré est centrifugé à 3500 tr/min pendant 1
heure afin de séparer les particules solides passées par le filtre, qui composent le
pied de l'huile. La masse d'huile surnageante est pesée. Le rendement d'extraction
en huile est calculé après dosage des triglycérides et la teneur en phospholipides
de l'huile est déterminée.
Conditions opératoires | Rendements d'extraction (en % par rapport à l'huile dans la graine) | Teneur en phospholipides (mg de phosphore par kg d'huile) |
Sans injection d'alcool ou d'acide phosphorique | 80 | 220 |
Avec injection d'alcool et d'acide phosphorique | 89 | 98 |
Cet exemple illustre les performances du procédé en terme
de rendement d'extraction et de qualité d'huile lors de l'augmentation de
température.
EXEMPLE 3 :
Les conditions particulières dans cet exemple sont les
suivantes :
- ratio acide phosphorique/graine : 130 % en poids par
rapport à la graine,
- ratio alcool/graine : 12 % en poids par rapport à la
graine.
La température est régulée à la consigne de 85° C.
Le filtrat récupéré est centrifugé à 3500 tr/min pendant 1
heure afin de séparer les particules solides passées par le filtre, qui composent le
pied de l'huile. La masse d'huile surnageante est pesée. Le rendement d'extraction
en huile est calculé après dosage des triglycérides et la teneur en phospholipides
de l'huile est déterminée.
Conditions opératoires | Rendements d'extraction (en % par rapport à l'huile dans la graine) | Teneur en phospholipides (mg de phosphore par kg d'huile) |
Sans injection d'alcool ou d'acide phosphorique | 73 | 235 |
Avec injection d'alcool et d'acide phosphorique | 86 | 262 |
L'injection d'acide phosphorique et d'alcool se traduit par
un rendement d'extraction élevé. La quantité d'acide phosphorique injectée étant
faible dans cet exemple, la pureté de l'huile obtenue reste équivalente à celle de
l'huile obtenue par pression directe des graines de tournesol oléiques sans
injection d'alcool ou d'acide phosphorique.
EXEMPLE 4 :
Les conditions particulières dans cet exemple sont les
suivantes :
- ratio acide phosphorique/graine : 130 % en poids par
rapport à la graine,
- ratio alcool/graine : 24 % en poids par rapport à la
graine.
La température est régulée à la consigne de 100° C.
Le filtrat récupéré est centrifugé à 3500 tr/min pendant 1
heure afin de séparer les particules solides passées par le filtre, qui composent le
pied de l'huile. La masse d'huile surnageante est pesée. Le rendement d'extraction
en huile est calculé après dosage des triglycérides et la teneur en phospholipides
de l'huile est déterminée.
Conditions opératoires | Rendements d'extraction (en % par rapport à l'huile dans la graine) | Teneur en phospholipides (mg de phosphore par kg d'huile) |
Sans injection d'alcool ou d'acide phosphorique | 72 | / |
Avec injection d'alcool et d'acide phosphorique | 90,5 | 452 |
Cet exemple illustre les performances du procédé en terme
de rendement d'extraction. La forte température d'extraction entraíne une teneur
en phosphore dans l'huile un peu élevée.