Procédé d'extraction ou de fractionnement par fluide supercritique en présence d'un co-solvant incluant au moins un solvant fluoré.
L'invention concerne le domaine de l'extraction. L'invention trouve en particulier son application dans les domaines cosmétique, pharmaceutique et alimentaire.
Les procédés d'extraction ou de fractionnement classiques incluent notamment l'entraînement à la vapeur, l'hydrodistillation et l'extraction à l'aide d'un fluide à l'état supercritique. La présente invention se rapporte à ce dernier type de procédé d'extraction. On considère souvent qu'un corps pur peut être à l'état soit solide, soit liquide, soit gazeux. Sur le diagramme d'état en fonction de la pression et de la température, les régions correspondantes sont délimitées par les courbes de changement d'état. Il se trouve que la courbe de transition liquide-gaz présente un point d'arrêt critique caractérisé par un couple pression-température (Pc, Te), au- delà duquel, il n'existe plus qu'un seul état du corps, dit état supercritique, dans lequel il est impossible de le condenser par une augmentation de pression.
Il est connu qu'un fluide à l'état supercritique manifeste des propriétés très particulières. Ainsi, sa masse volumique est proche de celle d'un liquide. Par ailleurs, sa viscosité est comparable à celle d'un gaz. Enfin, sa diffusivité est intermédiaire entre celle d'un liquide et celle d'un gaz
Le pouvoir solvant d'un fluide à l'état supercritique est variable et dépend essentiellement de sa masse volumique, cette dernière étant déterminée par sa pression et sa température Ainsi, ces solvants sont souvent de bons solvants à l'état supercritique et de mauvais solvant à l'état gazeux. Ces caractéristiques permettent d'ajuster le pouvoir solvant du fluide aux nécessités des opérations d'extraction dans lesquelles il est mis en œuvre. On choisit ainsi la pression et la température permettant d'obtenir l'efficacité et/ou la sélectivité requises.
Le principe de l'extraction par fluide supercritique repose sur ces propriétés particulières. Un cycle d'extraction consiste à mettre en contact dynamique la matière première à extraire avec le fluide à l'état supercritique. Les espèces
extraites sont ensuite séparées de l'effluent supercritique par une simple détente destinée à ramener le fluide à l'état gazeux. On réalise ainsi l'extraction ou le fractionnement de matrices solides ou liquides. Une partie des avantages de l'extraction par fluides supercritiques est inhérente à la technologie. La séparation extractant/extrait est facile, quasi-totale et peu coûteuse. Les frais de fonctionnement sont réduits. Enfin, cette technique permet une extraction et un fractionnement sélectifs par ajustement de la pression et de la température. Les fluides traditionnellement utilisés pour l'extraction en mode supercritique sont le propane, le butane, le protoxyde d'azote et le dioxyde de carbone. Parmi ceux-ci, le dioxyde de carbone est l'extractant le plus utilisé. En effet, le choix du CO2 comme extractant renforce l'intérêt de la technologie. Il permet d'opérer à des pressions et à des températures modérées (Te = 31.3°C ; Pc = 72.8 bar). Il est bon marché et disponible en quantité industrielle à un niveau de pureté élevé. Il est ininflammable, inerte chimiquement, naturel et atoxique (aucune interdiction réglementaire d'ordre sanitaire).
Un des rares inconvénients du CO2 supercritique est son pouvoir solvant limité vis-à-vis de certains composés polaires. Ceux-ci restent néanmoins extractibles en ajoutant au CO2 des co-solvants organiques. L'ajustement précis de leur concentration dans le CO2 détermine l'efficacité et la sélectivité de l'extraction.
Parmi les co-solvants utilisés, on trouve l'eau mais aussi divers solvants organiques tels que le méthanol ou l'éthanol et, moins couramment, des hydrocarbures, notamment l'hexane, ou l'acétone.
Si l'ajout de co-solvant permet d'étendre, quantitativement et qualitativement, le pouvoir extractant du CO2, il fait perdre en revanche l'avantage décisif résidant dans l'obtention d'extraits sans solvants organiques résiduels. Pour certaines applications, alimentaires et cosmétiques en particulier, l'utilisation de co-solvants peut même être considérée comme un inconvénient rédhibitoire.
Les solvants organiques précités sont en outre tous concernés par diverses réglementations. A titre d'exemple, on retiendra l'existence de listes positives de
solvants concernant des applications alimentaires. On retiendra également la récente réglementation relative à l'émission de composés organiques volatils
(COV), qui a induit des contraintes importantes pour les industriels, en particulier en matière de méthodes de production. Ces contraintes réglementaires proviennent du caractère soit nocif soit toxique des solvants organiques utilisés. Cette nocivité et cette toxicité se manifestent à des teneurs généralement faibles en solvants résiduels dans les extraits obtenus. Afin de supprimer les risques sanitaires, il est donc nécessaire de mettre en œuvre des procédés de désolvantisation qui présentent plusieurs inconvénients. En effet, outre le surcoût qu'ils induisent, ces procédés de désolvantisation peuvent avoir, selon les conditions opératoires appliquées, une incidence négative sur la qualité des extraits ainsi traités. L'objectif de la présente invention est de proposer un procédé d'extraction à l'aide d'un fluide supercritique en présence d'un co-solvant ne présentant pas les inconvénients cités ci-dessus.
Cet objectif est atteint grâce à l'invention qui concerne un procédé d'extraction et/ou de fractionnement par fluide supercritique comprenant les étapes consistant : à mettre en contact une matière première avec un fluide à l'état supercritique en présence d'au moins un co-solvant ; à abaisser la pression du mélange consitué par le fluide à l'état supercritique, ledit co-solvant et le ou les composés extraits de ladite matière première de façon à récupérer ledit fluide à l'état gazeux d'une part et ledit co-solvant contenant ledit ou lesdits composés extraits, caractérisé en ce que ledit co-solvant est constitué au moins en partie par un solvant fluoré. Préferentiellement, le procédé comprendra une étape consistant à séparer ledit ou lesdits composés extraits dudit co-solvant. Toutefois, dans certain cas, il pourra être envisagé d'utiliser le mélange du co-solvant avec le ou les composés extraits en l'état.
Le procédé selon l'invention permet de réduire ou d'éliminer la quantité de co-solvants organiques traditionnellement utilisés dans de nombreux
cas d'extraction par fluides à l'état supercritique. Il permet également d'améliorer l'efficacité ou la sélectivité de procédés d'extraction en phase supercritique dans lesquels l'emploi de co-solvants organiques traditionnels n'est pas souhaité.
Selon l'invention, ces solvants fluorés peuvent être préferentiellement : des perfluoroalcanes aliphatiques caractérisés par la formule générale
CnF2n+2 (5<n<15) des perfluoroalcanes possédant un motif cyclique et caractérisés par la formule générale CnF2n (5<n<15) des perfluoroalcanes possédant deux motifs cycliques et caractérisés par la formule générale CnF2n_2 (8≤n<15) la perfluoro N-méthylmorpholine de formule générale C5ONFn des hydrofluoroéthers (HFE) caractérisés par la formule générale CnF2n+1OCmH2m+1 où 3<n<8 et l≤m≤ό
Les solvants perfluorés plus particulièrement concernés par la présente invention sont la perfluoro N-méthylmorpholine (également connue dans le commerce sous la dénomination PF5052), les n-perfluoropentane (PF5050) , n- perfluorohexane (PF5060), n-perfluoroheptane (PF5070) et n-perfluorooctane (PF5080) ainsi que leurs isomères. Les hydrofluoroéthers plus particulièrement concernés par la présente invention sont le méthoxynonafluorobutane (C4F9-0- CH3), également appelé HFE7100, et l'éthoxynonafluorobutane (C4F9-0-C2H5), également appelé HFE7200, ainsi que leurs isomères.
Par rapport aux solvants traditionnels d'extraction, les solvants fluorés précités bénéficient de nombreux avantages :
• ils sont ininflammables et n'imposent pas, de ce fait, l'utilisation d'équipements particuliers de production et de protection. Cette caractéristique est particulièrement intéressante dans des perspectives de production à l'échelle industrielle puisqu'elle a une incidence directe sur le coût des produits finis ;
• ils ne présentent pas de risque pour l'écosystème et sont en conformité avec les réglementations environnementales les plus strictes. Ils ne sont pas inscrits à la
liste des composés organiques volatils (COV), leur potentiel de destruction de la couche d'ozone est nul et leur contribution à l'effet de serre est très faible ;
• ils sont chimiquement inertes, inodores, incolores et sans saveur. Ils n'ont donc aucune incidence négative sur les propriétés des extraits ou des formulations qui les contiennent ou qu'ils ont servi à préparer ;
• même à fortes doses, ils sont atoxiques par inhalation, adsorption ou contact répétés. Cette absence de toxicité a d'ailleurs été mise à profit pour incorporer les HFE dans des formules cosmétiques ;
• ils ont une capacité calorifique et une chaleur latente de vaporisation faibles comparativement à celles des solvants organiques couramment utilisés en extraction. Les coûts énergétiques de mise en œuvre et de retraitement sont donc notablement allégés ;
• ils ont des tensions de vapeurs élevées qui facilitent la désolvantisation des extraits . Un autre avantage de ces solvants fluorés réside dans leur pouvoir solvant faible en regard de celui des solvants organiques traditionnellement utilisés comme co-solvants en extraction par fluides supercritiques.
Selon le solvant fluoré utilisé et la nature des constituants de l'extrait, cet avantage peut être particulièrement intéressant lors de la récupération de l'extrait. En effet, lorsque l'extrait supercritique est détendu par abaissement de la pression ou de la température en dessous de leur valeur critique, le faible pouvoir solvant des solvants fluorés peut conduire à un phénomène de démixtion. On obtient alors, d'une part, l'extrait à faible teneur en solvant fluoré et, d'autre part, une phase liquide constitué par le solvant dans lequel n'est dissoute qu'une très faible proportion des espèces extraites. Après séparation de l'extrait et de la phase fluorée, l'extrait peut être désolvantisé par évaporation sous pression réduite. En raison de la faible teneur de l'extrait en solvant fluoré, ce traitement évaporatif est rapide et peut être effectué à faible température, évitant ainsi les risques de dégradation des substances extraites.
Afin de favoriser le phénomène de précipitation ou de démixtion de l'extrait brut, il est également possible d'abaisser la température de ce dernier. La quantité d'extrait insolubilisée est alors augmentée.
Le procédé décrit dans la demande s'applique plus particulièrement à la préparation d'extraits liposolubles. Il est applicable à de nombreuses matrices naturelles, pour des utilisations à des fins notamment cosmétiques, pharmaceutiques ou alimentaires. Ces matrices peuvent être des matières premières végétales des matières premières animales (animaux terrestres ou marins), des matières premières d'origine animale (lait et dérivés, ovoproduits, lanoline, cire d'abeille...) ou des organismes unicellulaires (levures, champignons, bactéries, microalgues...). Elles peuvent être également des extraits de ces matières premières. Le procédé est également applicable pour le traitement de matrices non naturelles telles que des pièces de céramiques utilisées, par exemple, comme prothèses chirurgicales et qui nécessitent un dégraissage soigneux avant utilisation.
Exemple 1 - Influence de réthoxynonafluorobutane (HFE 7200 comme co- solvant dans l'extraction d'huile de soja par CO2 supercritique, à partir de farine de soja, à 40°C et 150 bar
Deux essais d'extraction par CO2 supercritique sont effectués sur 500 g de farine de soja contenant 21% de substances extractibles à l'hexane. Le premier essai (essai témoin) est effectué à 150 bar et à 40°C sans ajout de co-solvant. Le second essai est effectué à 150 bar et 40°C en ajoutant au CO2 supercritique 5% (p/p) d'éthoxynonafluorobutane (HFE7200). Dans les deux cas, l'extraction est effectuée jusqu'à un rapport solvant/charge (p/p) égal à 50.
Le tableau ci-dessous indique l'évolution du rendement pondéral total d'extraction en fonction du rapport CO2/charge (p/p). Dans le cas de l'extraction avec co-
solvant, le rendement est établi après élimination, par évaporation sous pression réduite, de l'éthoxynonafluorobutane présent dans l'huile extraite.
L'examen de ces résultats indique que sur l'étendue de l'intervalle de rapport solvant/charge allant jusqu'à 50, le rendement d'extraction est amélioré d'au moins 50% par ajout de éthoxynonafluorobutane comme co-solvant.
Exemple 2 - Influence de l'éthoxynonafluorobutane (HFE 7200) comme co- solvant dans l'extraction d'huile de soja par C02 supercritique, à partir de farine de soja, à 40°C et 300 bar
Deux essais d'extraction par CO2 supercritique sont effectués sur 500 g de farine de soja contenant 21% de substances extractibles à l'hexane. Le premier essai (essai témoin) est effectué à 300 bar et à 40°C sans ajout de co-solvant. Le second essai est effectué à 300 bar et 40°C en ajoutant au CO2 supercritique 5% (p/p)
d'éthoxynonafluorobutane (HFE7200). Dans le cas de l'essai témoin, l'extraction est effectuée jusqu'à un rapport solvant/charge (p/p) égal à 50. Dans le cas de l'essai avec co-solvant, en raison de la stabilisation de la valeur du rendement, l'extraction n'est effectuée que jusqu'à un rapport solvant/charge (p/p) égale à 25.
Le tableau ci-dessous indique l'évolution du rendement pondéral total d'extraction en fonction du rapport CO2/charge (p/p). Dans le cas de l'extraction avec co- solvant, le rendement est établi après élimination, par evaporation sous pression réduite, de l'éthoxynonafluorobutane présent dans l'huile extraite.
Ces résultats mettent en évidence certains avantages de l'utilisation du l'éthoxynonafluorobutane comme co-solvant.
Pour des rapports solvant/charge de 20 et 25, les quantités de substances extraites au CO2 supercritique additionné de HFE7200 représentent respectivement 78 et 86% des substances extractibles à l'hexane. Sans co-solvant ces mêmes quantités sont obtenues pour des rapports solvant/charge respectifs de 35 et de plus de 50.
En utilisant le HFE7200 comme co-solvant, un rapport solvant/charge de 35 suffit à extraire 93% des substances extractibles à l'hexane. Un rapport solvant/charge de 50 est traditionnellement considéré comme étant la valeur limite supérieure de viabilité économique d'un procédé industriel d'extraction par CO2 supercritique. Grâce au HFE7200, il est donc possible d'obtenir une délipidation presque totale de la farine de soja dans des conditions économiquement viables. Le HFE est facilement éliminé du raffinât par traitement de ce dernier sous pression réduite. Le HFE est également facilement éliminé de l'extrait par décantation de ce dernier à température ou à une température inférieure mais demeurant toutefois supérieure à la température de solidification de l'huile. Les traces résiduelles de HFE sont éliminées facilement de l'extrait par traitement sous pression réduite.