PROCEDE DE FABRICATION D'UN MATERIAU COMPOSITE COMPRENANT DES DISPERSIONS SOLIDES D'UNE SUBSTANCE ACTIVE DANS UNE MATRICE
POLYMERE
La présente invention concerne un procédé de fabrication d'un matériau composite comportant des dispersions solides d'une substance, notamment un principe actif pharmaceutique, dans une matrice polymère. L'invention permet en outre de contrôler la porosité des dispersions solides ainsi obtenues .
Les procédés classiques d'extrusion impliquent des contraintes thermiques et mécaniques fortes, interdisant ainsi la manipulation de molécules fragiles . De plus, la porosité n'est pas un paramètre contrôlable sans l'ajout d'agents de nucléation. Ceci peut impliquer la présence de résidus dans le matériau final et la nécessité d'une étape supplémentaire pour les éliminer.
Les procédés utilisant la technologie supercritique autorisent souvent des températures opératoires modérées, mais leur caractère discontinu limite souvent leur potentialité dans le cadre d'une industrialisation. De plus, ils impliquent fréquemment l'utilisation d'autres solvants que le fluide supercritique, comme l'éthanol ou le DMSO (Dimethyl sulfoxide) .
Avec un nombre croissant de nouvelles molécules présentant une faible solubilité aqueuse, la bio-disponibilité des principes actifs reste un des défis majeurs du développement de la formulation. Dans cette optique, la préparation d'une dispersion solide présente un fort potentiel.
L'extrusion, procédé largement utilisé dans l'industrie des plastiques, est étudiée à l'heure actuelle pour la fabrication de dispersions solides de principes actifs pharmaceutiques. C'est en effet un procédé stable dont le changement d'échelle est envisageable, et qui s'affranchit des problèmes liés à l'utilisation de solvant. Cependant, la température opératoire reste une des variables critiques du procédé puisqu'elle doit permettre la plastification du polymère sans pour autant dégrader la molécule active. Les procédés utilisant la technologie supercritique permettent également la fabrication de dispersions solides, tout en maintenant la température opératoire modérée et les quantités de solvants réduites. Cependant, cette technologie se heurte à des difficultés lors du changement d'échelle. Les premiers travaux traitant de l'utilisation du couplage extrusion/fluide supercritique ont été réalisés par une équipe américaine de l'université de Cornell. Ils s'intéressaient à la création de porosité au sein de composés agroalimentaires. Deux brevets ont été déposés, avec par la suite plusieurs publications scientifiques :
Rizvi S. S.H., Mulvaney S. J., Extrusion processing with supercritical fluids, US Patent 5120559 (1992),
Rizvi S. S.H., Mulvaney S. J., Supercritical fluid extrusion process and apparatus, US Patent 5417992 (1995) , Par la suite, un procédé similaire a fait l'objet d'un dépôt de brevet concernant la fabrication de polymères microcellulaires, avec, en particulier, une description plus précise de la porosité obtenue :
Park C. B., Suh N. P., Baldwin D. F., Method for providing continuous processing of microcellular and
supermicrocellular foamed materials, Brevet US 5866053 (1999) & Brevet US 6051174 (2000)
Dans ces différents documents, seule la structuration « physique » de la matrice est commentée. La nature chimique du matériau n'est pas abordée, en particulier dans le cas d'un mélange entre deux composés comme une dispersion solide.
La présente invention résout les difficultés explicitées ci-dessus en permettant la fabrication d'un matériau comportant des dispersions solides d'une substance, notamment un principe actif pharmaceutique, dans une matrice polymère, avec un contrôle de la porosité du matériau final. Le procédé objet de la présente invention est basé sur un procédé d'extrusion complété par l'utilisation d'un fluide supercritique (FSC) .
L'invention concerne un procédé de fabrication d'un matériau composite comprenant des dispersions solides d'une substance active dans une matrice polymère, le procédé comprenant les étapes suivantes :
- l'étape d'introduire la matrice polymère dans une extrudeuse, - l'étape d'actionner l' extrudeuse de manière à modifier des propriétés rhéologiques de la matrice polymère,
- l'étape de placer un fluide dans des conditions supercritiques et de l'injecter, pur ou mélangé avec un autre constituant, dans l' extrudeuse, notamment via une buse d'injection, l'étape d'introduire une substance active dans 1' extrudeuse,
- l'étape de mélanger le fluide supercritique, la substance active et la matrice polymère, - l'étape de détendre le mélange ainsi obtenu afin de lui conférer une structure microporeuse.
Comme décrit plus loin, l'ordre de réalisation de ces étapes ne correspond pas forcément à l'ordre de l'énumération ci-dessus.
Dans une réalisation, le fluide supercritique utilisé est du dioxyde de carbone C02.
Dans une réalisation, la substance active utilisée est un principe actif pharmaceutique. Dans une réalisation, la substance active et la matrice polymère sont introduites conjointement dans 1' extrudeuse, notamment via une trémie.
Dans une réalisation, l'étape d'actionner l' extrudeuse de manière à modifier des propriétés rhéologiques de la matrice polymère comprend l'étape de disperser la substance active dans la matrice polymère .
Dans une réalisation, la substance active et le fluide supercritique sont introduits conjointement dans l' extrudeuse, notamment via la buse d'injection. Dans une réalisation, la substance active est dissoute ou dispersée dans le fluide supercritique, le mélange obtenu étant ensuite injecté dans l' extrudeuse.
Dans une réalisation, le fluide supercritique est dissous dans la substance active, le mélange obtenu étant ensuite injecté dans l' extrudeuse.
Dans une réalisation, la dissolution du fluide supercritique dans la substance active est réalisée dans un récipient autoclave, avant injection du mélange dans 1' extrudeuse. Dans une réalisation, on réalise une émulsion de deux phases liquides, ces deux phases étant obtenues par dissolution réciproque de la substance active et du fluide supercritique l'un dans l'autre.
Dans une réalisation, l'obtention des deux phases liquides comprend l'étape d'alimenter en continu un récipient autoclave simultanément en fluide supercritique et en substance active .
Dans une réalisation, on contrôle la porosité des dispersions solides obtenues, notamment leur taille et leur densité, en fonction des conditions opératoires .
Dans une réalisation, les conditions opératoires permettant de contrôler la porosité des dispersions solides comprennent au moins l'un des paramètres suivants : o température dans l'extrudeuse ; o pression dans l'extrudeuse ; o débit d'injection du fluide supercritique dans l' extrudeuse .
L' invention concerne également un matériau, en particulier un matériau composite, obtenu en mettant en œuvre le procédé défini ci-dessus.
L'extrusion est un procédé de conversion d'une matière première en un produit de forme et de masse volumique uniforme en la faisant passer par une restriction dans des conditions contrôlées . Le transport est obtenu par au moins une vis en rotation à l'intérieur d'un fourreau fixe et la pression générée par la vis pousse la matière à travers la restriction, appelée filière.
Un fluide supercritique (FSC) est un fluide porté à une pression et une température situées au-delà de celles de son point critique. Un tel fluide présente des propriétés intermédiaires entre celles des gaz et des liquides, avec en particulier une masse volumique proche de celle d'un liquide et une viscosité proche de celle d'un gaz. Le plus couramment utilisé est le dioxyde de carbone C02. Il présente les avantages d'être non toxique, naturel, gazeux aux conditions atmosphériques et d'avoir des coordonnées critiques peu élevées 7,4 MPa et 304 K, ce qui en fait un fluide idéal pour les applications agroalimentaires et pharmaceutiques .
Le dioxyde de carbone supercritique (C02 SC) a déjà été largement utilisé dans la mise en œuvre des polymères. Ses propriétés spécifiques lui permettent de se solubiliser fortement et rapidement dans les polymères . Ces fortes solubilités provoquent en particulier la plastification et le gonflement des matériaux, avec une modification des propriétés mécaniques et physiques. Ainsi, le C02 abaisse la température de
transition vitreuse, Tg, et la viscosité de nombreux polymères sans pour autant en changer le comportement viscoélastique. Par exemple, dans le cas du polystyrène, une Tg à 1050C est abaissée à 980C avec une fraction massique de C02 égale à 1 % et à 46,40C avec 5,9 %. La tension de surface σ des polymères diminue également avec la présence du FSC. Pour du polystyrène à 2000C, cette tension de surface décroit linéairement de 28 à 17 mJ.m-2 sur une gamme de pression de C02 de 1 à 10 MPa.
Dans le cadre de l'extrusion, le C02 SC va modifier les propriétés rhéologiques de la matière au sein de l'extrudeuse et va jouer le rôle d'agent d'expansion au cours de la détente lors du passage dans la filière. Ainsi, sa solubilisation en grande quantité dans le polymère va se traduire par de fortes expansions . La diminution de viscosité va quant à elle aboutir à la limitation des contraintes mécaniques et à l'abaissement des températures opératoires au sein de l'extrudeuse. Ceci va ainsi autoriser la manipulation de molécules présentant une stabilité limitée.
Le taux de nucléation homogène Nh est défini comme le nombre de pores créés par unités de temps et de volume. D'après la théorie classique, il peut être exprimé de la façon suivante :
où fh est le facteur de fréquence, Ch la concentration de gaz, kB la constante de Boltzmann, T la température et ΔGh* l'énergie libre pour la formation d'un nucleus critique de gaz, exprimée par :
où σ est la tension de surface entre le polymère et le gaz et AP1 la pression de sursaturation, c'est-à-dire la différence de pression par rapport à la pression qui provoque la saturation du polymère. Diminuer la tension de surface ou augmenter la pression de sursaturation revient à augmenter le
taux de nucléation et le nombre de bulles produites . La tension de surface diminuant avec la pression, le C02 SC va permettre lors de l'expansion la formation de bulles à des énergies de surface minimales, ce qui entraine une nucléation très rapide et homogène et, par conséquent, une structure poreuse très fine.
Une particularité du couplage de l'extrusion et du C02 SC réside donc dans le fait que la quantité de C02 SC dissoute et la détente peuvent être contrôlées par l'ajustement des conditions opératoires et, par conséquent, l'expansion, la taille et la densité des pores peuvent être fixées pour obtenir de nouveaux matériaux, avec une large gamme de propriétés. Dans ce but, on peut notamment influer sur les conditions opératoires suivantes : température et/ou pression dans le fourreau de l'extrudeuse, débit d'injection du fluide supercritique, etc. On a représenté sur la figure 1 les éléments suivants mis en œuvre par le procédé selon l'invention :
1 extrudeuse 2 réservoir de C02 3 pompe 4 moteur 5 entonnoir d'alimentation de l'extrudeuse trémie 6 vis sans fin 7 mélangeur filière capteur de température
10 : capteur de pression
11 : buse d'injection
Les étapes suivantes sont réalisées :
- alimentation de l'extrudeuse 1 avec un mélange comprenant la matrice polymère et la substance active dans l'entonnoir 5 (convoyage et dosage des granulés ou de la poudre non plastifiés) ; modification des propriétés rhéologiques de ce mélange (préparation, dispersion et plastification) par
actionnement de la vis sans fin 6, phase conventionnelle des procédés d'extrusion ; injection du C02, placé préalablement dans des conditions supercritiques, le C02 étant aspiré dans le réservoir 2 par la pompe 3, puis injecté dans l'extrudeuse 1 par une buse d'injection 11 ;
- homogénéisation du mélange afin d'assurer une bonne dissolution du C02 dans la matière ; nucléation/croissance des pores provoquée et contrôlée par l'instabilité thermodynamique créée par une brusque détente lors du passage dans la filière 8.
Dans un premier temps, une extrudeuse a été modifiée afin qu'il soit possible d'injecter du C02 SC au sein de la matière extrudée. Ensuite, des expériences préliminaires ont été réalisées sur du polystyrène (PS) . Cette étape a permis de prendre en main la technologie. Aujourd'hui, l'injection de C02 est maîtrisée et l'effet sur la porosité de paramètres opératoires tels que les pressions, les débits ou les températures a pu être observé.
L' étape suivante consiste à introduire un principe actif modèle afin de développer l'étape permettant la fabrication des dispersions solides .
L'extrusion couplée à l'utilisation d'un FSC permet la fabrication de dispersions solides de principes actifs pharmaceutiques dans une matrice polymère, en réduisant les températures et les contraintes mécaniques opératoires au sein de la matière extrudée. Ceci autorise la manipulation d'une plus grande gamme de molécules thermolabiles, comme peuvent l'être les principes actifs pharmaceutiques.
Le couplage entre les deux technologies permet également la création de porosité au sein de la dispersion solide, sans ajout de composés résiduels qui pourrait nécessiter une étape supplémentaire pour son élimination. Les propriétés du C02 en particulier permettent d'obtenir une porosité fine et
régulière, et surtout pouvant être contrôlée par les conditions opératoires .
Les résultats expérimentaux effectués confirment clairement les avantages d'un tel couplage : baisse de T température et P pression dans le fourreau de l' extrudeuse, maîtrise de la nucléation et de la porosité du polymère, ce qui démontre la viabilité de l ' application au domaine des molécules pharmaceutiques .
Le procédé selon l'invention fait l'objet de plusieurs variantes dans le mode d'injection de la substance active. Trois de ces variantes, décrites ci-après, ont en commun d'injecter la substance active conjointement avec le C02 et non avec la matrice polymère. Dans ces trois variantes, la matrice polymère est donc le seul constituant introduit dans l'extrudeuse via l'entonnoir ou trémie 5.
Dans une première variante, La substance active est dissoute, ou éventuellement dispersée, dans le C02 supercritique. Ce mélange est ainsi injecté à la place du C02 pur dans via la buse d'injection 11. Les étapes suivantes du procédé restent inchangées.
Une deuxième variante, notamment adaptée aux substances peu solubles, consiste à réaliser un mélange dans lequel le C02 supercritique est dissous dans la substance active. Cette substance active est ainsi rendue liquide par cette opération. Dans ce but, en amont de la buse d'injection 11, on réalise la dissolution du C02 supercritique dans un autoclave. On obtient généralement grâce à cette méthode un composé avec un pourcentage massique de C02 compris entre 1% et 50%, typiquement de l'ordre de 30%. L'avantage de cette variante est qu'elle permet de favoriser la dispersion de la substance active dans la matrice polymère, d'opérer à une température plus basse, de mieux profiter des modifications des propriétés rhéologiques et diffusives . Cela permet également d' introduire la substance active sous forme liquide.
Une troisième variante consiste à alimenter en continu un autoclave simultanément en substance active et en C02 supercritique. Il se produit alors une dissolution réciproque de la substance active et du C02 supercritique, avec pour résultat deux phases fluides, l'une riche en substance active, l'autre en C02 supercritique. L'ordre de grandeur des compositions massiques de chacun de ces deux phases est de 1% à 50%, typiquement de l'ordre de 30% de C02 pour la phase la plus lourde phase constituée par la dissolution du C02 dans la substance active, et de 90% à 100% de C02 pour la phase la plus légère constituée par la dissolution de la substance active dans le C02. On agite ensuite ces deux phases, par exemple grâce à une turbine de type Rushton, afin d'émulsionner ce mélange avant introduction dans l'extrudeuse via la buse d'injection 11. Cette méthode présente l'avantage des deux variantes précédentes, en garantissant de plus la constance de la composition du mélange injecté.