Caractérisation de caoutchoucs et dérivés de caoutchoucs par RMN HRMAS.
La présente invention concerne une méthode de caractérisation de la composition chimique et de la composition et de l'agencement des unités monomériques des polymères impliqués, d'un caoutchouc naturel, synthétique, partiellement synthétique ou vulcanisé, de dérivés de caoutchouc et d'objets fabriqués à partir dudit caoutchouc par Résonance Magnétique Nucléaire (RMN) .
Dans les échantillons liquides, les variations de fréquence de résonance des signaux fins sont le reflet de l'environnement électronique des noyaux correspondants, et par conséquence attestent de leur environnement chimique. Cette propriété permet de caractériser une molécule ou un mélange de molécules par leurs spectres RMN. Les spectres RMN réalisables pour aboutir à ce résultat incluent des spectres 1D de noyaux, parmi lesquels 1H, 13C, 31P, 15N, et des spectres multidimensionnels impliquant un ou plusieurs de ces noyaux et les propriétés d'interactions scalaires et/ou dipolaires entre ces noyaux. Les propriétés de relaxation nucléaire et de diffusion moléculaire peuvent également être mises à profit.
Dans les échantillons hétérogènes, la susceptibilité magnétique est elle-même inhomogène dans l'échantillon. Il en résulte un élargissement important et souvent rédhibitoire des signaux RMN, empêchant ainsi l'analyse des spectres correspondants décrits ci-dessus. La technique de RMN HRMAS utilise un spectromètre RMN muni d'une sonde haute résolution à l'angle magique,
plus connue sous son acronyme HRMAS, de l'anglais High Resolution Magic Angle Spinning. Par rotation (3-5 kHz) à l'angle magique de l'échantillon (environ 54,7° par rapport à l'axe du champ magnétique), cette technique permet d'uniformiser la susceptibilité magnétique et ainsi d'affiner de manière très significative les raies, au point d'approcher la résolution d'un spectre d'un échantillon liquide.
Cette technique, adaptée à un spectrometre classiquement muni d'une sonde pour échantillons liquides, s'applique également aux échantillons semi- solides, dans lesquels la mobilité des atomes est plus importante que dans les échantillons solides. En effet, les causes d'élargissement des signaux (anisotropie de déplacement chimique, interactions dipolaires résiduelles) sont partiellement moyennées par rotation à 3-15 kHz. Pour les échantillons solides, ces effets ne peuvent être partiellement supprimés que par rotation à très haute vitesse (15-30 kHz) de l'échantillon. Un spectrometre spécial, munie d'une sonde et d'un matériel électronique particuliers sont alors nécessaires.
La RMN HRMAS allie ainsi, pour les échantillons hétérogènes ou semi-solides, les avantages de la RMN appliquée aux solides et de la RMN appliquée aux liquides. Elle permet l'obtention de spectres hautement résolus de différents composés, notamment des composés biologiques, chimiques ou pharmaceutiques, dont le spectre avec une sonde adaptée aux liquides est mal résolu (Li et al . , 1993, Mul tinuclear and magie-angle spinning NMR investigations of molecular organization in phospholipid- triglycéride aqueous dispersions .
Bioche istry, 32, 9926-9935; Cheng et al . , 1996,
Quanti tative neuropathology by high resolution magie angle spinning proton magnetic résonance spectroscopy. Magn . Reson . Med. , 36, 653-658.; Moka et al . , 1998, Biochemical classification of kidney carcinoma biopsy samples using magic-angle-spinning 1H nuclear magnetic résonance spectroscopy. J. Pharm. Biomed. Analysis, 17, 125-132) .
Le caoutchouc naturel est un polymère cis-1,4 à base d'isoprène (méthylbutadiène) . L'isoprène peut être polymérisé dans une configuration tête-à-tête ou queue- à-queue dans laquelle les monomères se présentent tête- bêche ou dans une forme tête-à-queue dans laquelle on trouve six modes de polymérisation possibles: isotactique 1,2, syndiotactique 1,2, isotactique 3,4, syndiotactique 3,4, cis-1,4 et trans-1,4. Le caoutchouc naturel est un polymère cis-1,4 alors que, par exemple, la gutta percha est un polymère trans-1,4. On peut également avoir, dans le même polymère, un mélange de ces différents enchaînements. Les dérivés du caoutchouc, outre les pneus, comprennent notamment des tuyaux, des courroies, des ceintures de sécurité, des pièces moulées, des joints d'étanchéité et des gants.
Outre le caoutchouc, ces dérivés comprennent des additifs. Ainsi, parmi les additifs couramment utilisés dans l'industrie du pneu figurent des polymères et copoly ères synthétiques, dont les unités monomériques sont par exemple l'éthylène, le propylène, le butadiène, le styrène, ou un mélange desdits polymères. Le noir de carbone, l'oxyde de zinc, des anhydrides, par exemple l'anhydride maléique, du soufre nécessaire à la
vulcanisation, des accélérateurs de vulcanisation figurent aussi parmi les additifs.
Les articles fabriqués à partir de caoutchouc, par exemple les pneus, sont notamment obtenus par vulcanisation. Lors de la vulcanisation, des pontages sont réalisés entre les chaînes de polymères, la vulcanisation se faisant essentiellement en présence de soufre. En l'absence d'accélérateurs, des chaînes de 40 à 60 atomes de soufre lient les chaînes, alors que si l'on ajoute des accélérateurs comme le thiol-2-benzothiazole, le stéarate de zinc et le diméthyldithiocarbamate de zinc, ce nombre chute à 1 ou 2.
Lors de la fabrication d'objets manufacturés à base de caoutchouc, notamment de pneus, un contrôle de qualité s'avère indispensable.
La caractérisation du caoutchouc et des objets à base de caoutchouc est actuellement réalisée soit par une analyse des performances physiques, soit par une analyse chimique qui met en œuvre une méthode analytique destructrice débutant par une extraction, une pyrolyse ou une désorption thermique, suivie d'une séparation par chromatographie en phase liquide ou gazeuse, éventuellement suivie d'une caractérisation par spectrométrie de masse. Ces méthodes ne permettent pas de caractériser le produit dans son intégrité, sont longues et coûteuses et nuisent à la rentabilité économique de la fabrication.
Aussi la mise au point d'une méthode rapide, économique et fiable permettant de caractériser un caoutchouc naturel ou synthétique ou ses dérivés est hautement souhaitable.
Or, les inventeurs ont découvert de manière surprenante que la technique de RMN HRMAS pouvait être appliquée à des articles manufacturés, notamment aux pneus, issus d'une fabrication complexe dont le composé principal est le caoutchouc, naturel, synthétique, partiellement synthétique, ou vulcanisé, et dans laquelle plusieurs adjuvants sont utilisés.
La présente invention a en conséquence pour objet un procédé de caractérisation de la composition chimique d'un caoutchouc, caractérisé en ce que l'on utilise la RMN HRMAS.
Au sens de la présente invention, on entend par caoutchouc un caoutchouc naturel, synthétique, partiellement synthétique, ou vulcanisé. Au sens de la présente invention, on entend par composition chimique la concentration des différents composés du caoutchouc, la composition des polymères en unités monomériques et l'agencement conformationnel et l'environnement spatial de celles-ci. Dans un mode particulier de réalisation de l'invention, le spectre est réalisé à toute température supérieure à la température de transition vitreuse du caoutchouc, dans les limites de la gamme de températures accessibles à un spectrometre de résonance magnétique nucléaire dédié à l'étude d'échantillons en phase liquide .
Dans un mode particulièrement avantageux de réalisation de l'invention, le spectre est réalisé à une température comprise entre -10°C et 50°C. Dans un mode particulièrement avantageux de réalisation, le procédé d'analyse selon l'invention comprend les étapes suivantes:
la préparation de l'échantillon, la comparaison d'au moins un spectre de RMN HRMAS et/ou d'au moins une valeur de mesure de la RMN obtenue sur l'échantillon dudit caoutchouc avec au moins un spectre de RMN HRMAS et/ou d'au moins une valeur de mesure de RMN HRMAS de référence de manière à identifier au moins un pic dudit spectre RMN HRMAS et/ou au moins une valeur de la mesure de RMN HRMAS constituant un marqueur spécifique de la structure chimique dudit caoutchouc.
Les spectres RMN peuvent être de toute nature, notamment des spectres 1D 1H,13C,15N, 31P ou des spectres multidimensionnels impliquant un ou plusieurs des noyaux précédents . L'invention a également pour objet une méthode de caractérisation d'un objet manufacturé, notamment d'un pneu, utilisant le procédé selon l'invention.
Le procédé selon l'invention permet d'analyser des morceaux de caoutchouc, naturel, synthétique, partiellement synthétique, ou vulcanisé, notamment des morceaux de pneus, sans dissolution préalable.
C'est un procédé rapide, économique et reproductible qui permet non seulement de caractériser un caoutchouc, mais également de comparer divers caoutchoucs entre eux.
D'autres caractéristiques et avantages de l'invention apparaissent dans la suite de la description et dans l'exemple illustré par les figures 1 à 6 dans lesquelles : La figure 1 représente les spectres en sonde liquide d'un échantillon de pneu M2. Spectres ""Ή (figure la) et 13C
découplé 1H (figure lb) . Conditions expérimentales spécifiées dans l'exemple.
La figure 2 représente les spectres en sonde HRMAS d'un échantillon de pneu M2 selon la méthode de l'invention. Spectres XH (figure 2a) et 13C découplé 1ti (figure 2b) .
Conditions expérimentales spécifiées dans l'exemple.
La figure 3 illustre les spectres 1H en sonde HRMAS d'un échantillon de pneu Ml, M2, D, P et K (de bas en haut) .
Mêmes conditions expérimentales que figure 1. La figure 4 illustre les spectres 13C en sonde HRMAS d'un échantillon de pneu Ml, M2, D, P et K (de bas en haut) .
Mêmes conditions expérimentales que figure 2.
La figure 5 illustre les différences entre les spectres
XH de chaque paire de pneu. La figure 6 représente les différences entre les spectres
13C de chaque paire de pneu.
Exemple: Caractérisation de différentes marques de pneus. 1. Mode opératoire. a) Prépara tion des échantillons .
Les analyses ont été menées sur 5 pneus: 2 pneus de marque Michelin mais de série différente (Ml) et (M2), 1 pneu de marque Dunlop (D) , 1 pneu de marque Kléber (K) et 1 pneu de marque Pirelli (P) . Un morceau dépourvu de gaine métallique a été découpé dans la partie latérale de chaque pneu, puis lavé et séché. 3 échantillons ont ensuite été prélevés de chaque morceau. Pour permettre le suivi du champ magnétique (lock) et l'optimisation du caractère homogène du champ magnétique dans l'échantillon (shim), 50 μl de 2H20 ont été ajoutés à l'échantillon. b) Méthode RMN-HRMAS .
On utilise un spectrometre RMN de marque Bruker, pour lequel la résonance magnétique du proton est de 500 MHz, et muni d'une sonde HRMAS à 3 canaux ( H, 13C, et 2H pour le suivi du champ magnétique) . Les spectres RMN HRMAS H et 13C de chaque échantillon ont été enregistrés dans les conditions suivantes : spectre 1D 1H: présaturation du solvant, 256 acquisitions, angle d'impulsion de 90°, temps de répétition de 3,5 secondes, température de 50°C, vitesse de rotation de l'échantillon 4 kHz, soit une durée d'analyse de 15 minutes, spectre 1D 13C: 2 200 acquisitions, angle d'impulsion de 50°, temps de répétition de 540 ms, découplage des protons durant l'acquisition, température de 50°C, vitesse de rotation de l'échantillon 4 kHz, soit une durée d'analyse de 20 minutes. c) Méthode RMN-liquide .
A titre de comparaison, un échantillon M2 placé dans 600 μl de 2H20 a été prélevé et analysé par RMN à haute résolution en phase liquide, le spectrometre étant muni d'une sonde « liquide » (HR-liquide), optimisée pour les échantillons liquides. Les spectres RMN HR-liquide 1H et 13C ont été réalisés dans les mêmes conditions que ci- dessus pour la HRMAS, exceptée l'absence de présaturation du solvant pour le spectre 1H. d) Méthode sta tistique de caractérisa tion des différences spectrales .
Les données spectrales sont traitées avec le logiciel X innmr, version 2.6.
Spectres 1H
La correction de ligne de base des spectres 1H est une correction linéaire automatique (fonction abs) , c'est-à-dire que le paramètre absg fixant le degré du polynôme corrigeant la ligne de base est fixé à 1. Les spectres sont ensuite intégrés de 8.56 à -0.85 ppm, par pas de 0.038 ppm, soit 247 valeurs d'intégration par spectre. L'analyse est poursuivie à l'aide du logiciel Microsoft Excel.
Une seconde correction est effectuée sur les 247 valeurs définissant chaque spectre. Elle consiste à soustraire à chaque valeur le 1er quartile de la série de valeurs, représentant les zones de bruit de fond. Enfin, les spectres sont calibrés par rapport à la somme des 247 valeurs corrigées. Les données des 5 séries de 3 spectres sont ensuite comparées par un test bilatéral de Student. Les différences ont été jugées significatives lorsque l'indice de confiance est supérieur à 99.960%, soit 1- 1/(10*247). Ce seuil élevé évite la présence de différences faussement significatives, c'est-à-dire uniquement dues à la grande quantité de tests statistiques. Il n'y a en réalité que 10 % de probabilité pour qu'un test au moins distinguant deux lots soit faussement positif.
Spectres 13C
La correction de ligne de base des spectres 13C est une correction linéaire automatique, le paramètre absg étant fixé à 5. Les spectres sont ensuite intégrés de 145 à 110 ppm, et de 43 à 10 ppm par pas de 0,245 ppm, soit
278 valeurs d'intégration par spectre.
Les méthodes de correction de ligne de base, de calibration, et de comparaison statistique de lots sont identiques à celles utilisées pour les spectres 1H.
Le seuil fixé pour affirmer qu' il existe une différence significative entre des lots est ici fixé à 99,964%.
2. Résultats. a) Comparaison entre les spectres HR-liquide et les spectres HRMAS .
Les spectres HR-liquide 1H et 13C des échantillons montrent une très faible résolution. On observe 2 signaux en XH (figure la) et 6 signaux en 13C (figure lb) , ainsi que des épaulements. En revanche, les spectres HRMAS présentent une résolution très supérieure (figures 2a et 2b) . b) Mise en évidence de 1 ' empreinte spécifique des échantillons .
Les échantillons sont caractérisés par tout paramètre de déplacement chimique, d'intégrale ou de largeur à mi-hauteur de signaux, ou toute combinaison de ces paramètres.
Les spectres RMN HRMAS XH et 13C d'un échantillon de chacun des 5 pneus sont représentés respectivement par les figures 3 et 4. Les différences spectrales ont été caractérisées par la méthode statistique décrite précédemment .
Des différences significatives permettent de distinguer les 5 pneus, sauf les pneus P et K. La figure 5 indique les zones pour lesquelles les différences spectrales entre les pneus est significative au seuil de 99,960%. Le codage booléen utilisé montre une
valeur élevée lorsque la différence est significative au seuil de confiance de 99,960%. Les différences concernent essentiellement les régions 7,5-6,5 ppm, 5,7-4,7 ppm et 2,3-1,1 ppm. Seules 6 paires de lots sont distinguables par au moins une zone d'intégration du spectre 13C. Seul le lot D diffère significativement des 4 autres lots. Le codage booléen utilisé montre une valeur élevée lorsque la différence est significative au seuil de confiance de 99,964%.
Bien que de moindre sensibilité, le spectre 13C présente des signaux mieux résolus que le spectre 1H et peut en cela se révéler complémentaire.
Les résultats obtenus dans l'exemple montrent que la spectroscopie RMN HRMAS permet ainsi de caractériser spécifiquement, facilement, rapidement et de manière reproductible des échantillons de pneus et de constituer une base de données comportant les données RMN HRMAS et d'autres caractéristiques techniques d'intérêt pour le pneu.