DISSOLUTION DES CLUSTERS D'IONS TERRES RARES DANS LES FIBRES OPTIQUES A BASE DE SILICE. La silice vitreuse dopée par des ions terres rares (TR) est largement utilisée dans les systèmes de télécommunications à base de fibre optique, notamment en tant que fibres amplificatrices ou lasers. Ces dernières nécessitent généralement des quantités importantes d'ions terres rares à titre d'agents dopants. Toutefois, la solubilité des ions terres rares dans les verres de silice étant très faible, elle conduit généralement à l'agrégation des ions terres rares sous forme de clusters, même à des concentrations très faibles en ions terres rares. Or ces clusters provoquent une diminution importante du rendement énergétique par le biais de processus coopératifs. Il est donc important de diminuer la concentration de clusters dans les verres de silices, en dispersant les ions terres rares, ceci afin de diminuer les pertes énergétiques. A cette fin, il est connu, depuis les travaux d'Araï et al. [1], que l'ajout de dopants comme Al203 ou P205 dans une matrice de silice permet d'augmenter la solubilité des ions terres rares. En effet, à partir de mesures de photoluminescence de l'ion Nd3+ incorporé dans des verres SiO2-Al203 et SiO2-P205 avec des teneurs différentes (les rapports molaires CAI/CNd et CP/CNd allant de 0 à 100), Araï et al. a montré que l'intensité absolue de la fluorescence du néodyme augmente avec le rapport CAI/p/CNd. Il conclut également, en s'appuyant sur l'intensité de la luminescence en fonction du rapport CAMP/CNd qu'un rapport molaire CAI/CNd >10 ou Cp/CNd > 15 permet de disperser de façon homogène l'ion Nd3+ dans la matrice vitreuse. En d'autres termes, l'équipe conclut que l'aluminium serait plus efficace que le phosphore pour disperser les ions terres rares. Cette étude a fait date et de nombreuses publications ultérieures se sont appuyées sur ce résultat [3-5]. Notamment, une étude structurale récente des verres 5102-Al203 et SiO2-P205 dopés Ytterbium et par RPE (Résonance Paramagnétique Electronique) pulsée [2] a montré que le verre aluminosilicate (CAI/CYb =3) présentait des clusters d'Yb3+ tandis que le verre de phosphosilicate (CP/CYb =10) n'en contenait pas. L'auteur conclut, par extrapolation, en évoquant les travaux d'Araï et al., qu'un dopage CA1/CYb =10 aurait permis, comme dans le cas du phosphosilicate, de dissoudre l'Ytterbium. Dans le même sens que les travaux d'Arai et al., Likhachev et al. [3], conclut que la solubilité des ions erbium dans les verres de phosphosilicates est beaucoup plus faible que dans les verres d'aluminosilicates. La capacité de l'aluminium à disperser les ions terres rares a été remise en cause par Monteil [4] par le biais de simulations de dynamique moléculaire. Monteil montre que l'affinité des ions terres rares pour l'aluminium se manifeste par une agrégation de ces ions dans les zones riches an aluminium plutôt qu'une véritable dispersion homogène de ceux-ci. En revanche, les propriétés de luminescence (notamment les temps de vie) des terres rares sont directement affectées par le voisinage de l'aluminium. Ainsi, il est impossible de conclure sur la présence ou non de clusters à partir des mesures de l'intensité de la luminescence comme l'a fait Araï et al. [1]. Des mesures de luminescence coopérative ont été effectuées récemment par Jetschke [5], montrant la présence de paires d'ions Yb3+, c'est-à-dire de clusters, dans une série de fibres SiO2-Al2O3-P2O5 avec des concentrations en aluminium et phosphore variable. Les compositions choisies dans cette étude ne permettent pas de déterminer quel dopant, entre Al et P, est le plus efficace pour réduire la concentration des clusters, l'aluminium étant toujours incorporé en excès (CAI/Cp> 1). En résumé, à partir de mesures de photoluminescence, Araï et al. a montré de façon très indirecte que l'aluminium était plus efficace que le phosphore pour dissoudre les ions terres rares dans les verres à base de silice [1]. Les mesures directes par luminescence coopérative ou RPE pulsée présentent dans la bibliographie [2,5] n'ont pas été effectuées sur des compositions permettant de vérifier ou invalider le résultat d'Are et al.. Il est donc à ce jour toujours admis que l'aluminium dissout mieux les ions terres rares que le phosphore. Il a maintenant été mis en évidence que contrairement à ce qui avait été établi dans l'art antérieur, les ions terres rares sont plus efficacement dissous par le phosphore que par l'aluminium dans les verres à base de silice, notamment les verres Si02-Al2O3-P2O5. En particulier, il a été montré qu'un excès molaire de phosphore par rapport à l'aluminium tel que Cp/CAI > 1,3 environ, notamment un excès tel que (Cp CA1) largement supérieur aux ions terres rares ((Cp-CAI) > 10 CTR) permettait de disperser et/ou de solubiliser efficacement les ions terres rares et donc de diminuer considérablement la concentration de clusters dans le verre à base de silice. En conséquence, en augmentant la solubilité des ions terres rares dans le verre à base de silice, cet excès de phosphore par rapport à l'aluminium permet avantageusement d'augmenter la quantité d'ions terres rares incorporée dans le verre à base de silice à titre d'agent dopant et donc d'augmenter le rendement énergétique des fibres optiques. En outre, cet excès de phosphore devrait également permettre, de limiter le phénomène indésirable de photonoircissement (« photodarkening »), Le l'apparition de centres colorés dans la fibre en fonctionnement, lequel engendre des pertes énergétiques et limite les performances des fibres optiques, notamment leur puissance.
A noter par ailleurs que la présence de l'aluminium permet en outre avantageusement de moduler l'indice de réfraction et d'améliorer les propriétés thermomécaniques des verres S102-Al203-P205. Ainsi selon un premier aspect, l'invention concerne l'utilisation des composés Al203 et P205 en combinaison, pour solubiliser des ions terres rares (TR) présents à titre d'agents dopants dans des verres à base de silice, dans laquelle : Cp / CA1 > 1,3 environ Cp, et CA1, désignant les concentrations molaires élémentaires en phosphore, et en aluminium respectivement, dans ledit verre à base de silice. Dans la présente description, le terme « environ » se réfère à un intervalle de valeurs de ± 10 % d'une valeur spécifique. A titre d'exemple, l'expression « 1,3 environ» comprend les valeurs de 1,3 + 10 %, soit les valeurs de 1,17 à 1,43. Par « verre à base de silice », on entend dans la présente description, une matrice vitreuse dans laquelle le pourcentage en mole de la silice SiO2 est d'au moins 50%, notamment d'au moins 60% et plus particulièrement d'au moins 75%. Outre les ions terres rares et les composés Al203 et P205, le verre à base de silice peut contenir en outre, à titre d'agent dopant, du germanium, du bore, de l'azote, du fluor, ou du chlore. Les verres à base de silice selon la présente demande peuvent être notamment des verres aluminoborosilicatés, lesquels sont particulièrement utiles pour le stockage ou le confinement des déchets nucléaires de haute activité et en particulier des produits de fission comprenant des ions terres rares. Selon un mode de réalisation, le verre à base de silice est un verre comprenant ou constitué de SiO2, Al203, P205 et d'ions terres rares, notamment : - de 2% à 6% de P205 ; et/ou de 1% à 4% de Al203 ; et/ou de 0,1% à 0,15% de TR203; et/ou - de 90% à 96% de silice SiO2, Lesdits pourcentages étant des pourcentages molaires des différents oxydes composant le verre à base de silice. Selon un mode de réalisation préférentiel, Cp- CA! > 10 CTR, Cp, CAI, et CTR désignant les concentrations molaires élémentaires en phosphore, en aluminium et en ions terres rares dans ledit verre de silice. Par « terres rares », on désigne ici le groupe de métaux aux propriétés voisines comprenant les quinze lanthanides, i.e les éléments chimiques de numéros atomiques compris entre 57 (lanthane) et 71 (lutécium).
Selon un mode de réalisation, les ions terres rares, identiques ou différents, sont choisis parmi les ions des éléments suivants : Er, Yb, Ho, Nd, Pr et Tm, les ions Yb3+ étant particulièrement préférés. Selon un autre aspect, l'invention concerne l'utilisation des composés Al2O3 et P2O5 pour diminuer la concentration des clusters d'ions terres rares (TR) présents à titre d'agents dopants dans des verres à base de silice, dans laquelle : Cp / CA1 > 1,3 environ Cp, et CAI, désignant les concentrations molaires élémentaires en phosphore, et en aluminium dans ledit verre à base de silice. Selon un autre aspect, l'invention concerne l'utilisation des composés Al2O3 et P2O5 pour diminuer le photonoircissement des verres à base de silice, dans laquelle : Cp / CAI > 1,3 environ Cp, et CA1, désignant les concentrations molaires élémentaires en phosphore, et en aluminium dans ledit verre à base de silice. Selon un autre aspect, l'invention concerne un verre à base de silice comprenant : - des ions terres rares (TR) ; et - des composés Al2O3 et P2O5 , étant entendu que Cp / CA1> 1,3 environ Cp, et CAI, désignant les concentrations molaires élémentaires en phosphore, et en aluminium et respectivement, dans ledit verre à base de silice. Selon un mode de réalisation, le verre à base de silice est un verre, dans lequel Cp- CM > 10 CTR, Cp, CA1, et CTR désignant les concentrations molaires élémentaires en phosphore, en aluminium et en ions terres rares respectivement, dans ledit verre à base de silice. Selon une variante préférée, Cp- CM > 15 CTR, Selon une variante, les ions terres rares sont des ions Yb3+. Selon un autre aspect, l'invention concerne l'utilisation des verres de silice tels que définis ci-dessus pour la préparation de fibres optiques, notamment lasers ou amplificatrices. Ces fibres peuvent être préparées selon des méthodes conventionnelles, qui comprennent généralement les étapes de préparation d'une « préforme », de retreint et de tirage.
Les préformes peuvent être préparées par différentes méthodes telles que par dépôt chimique modifié en phase vapeur ou méthode MCVD [6](Modified Chemical Vapor Deposition), par dépôt chimique par plasma ou méthode PCVD (Plasma Chemical Vapor Deposition), ou encore par dépôt axial en phase vapeur ou méthode VAD (Vapor Axial Deposition). La méthode MCVD, qui est la plus utilisée consiste à utiliser un tube creux de silice pure mis en rotation, à l'intérieur duquel des flux de différents gaz (appelés précurseurs) circulent. Simultanément, le tube est chauffé à l'aide d'un chalumeau mobile se déplaçant en translation le long du tube. Un matériau poreux, revêtu par des particules d'oxyde sur sa surface interne, est alors formé. La seconde étape, l'imprégnation, permet d'introduire les ions terres rares par voie liquide. Ces ions s'insèrent dans le poreux. A la fin de cette étape, la préforme est une nouvelle fois chauffée puis refroidie brutalement. Cela permet le rétreint de la préforme puis sa vitrification. L'opération de manchonnage permet par la suite de rajouter une couche de silice autour de la préforme pour obtenir le ratio coeur/gaine voulu pour la future fibre. La dernière étape est le tirage, également appelé fibrage. La préforme terminée, elle est placée verticalement dans la tour de fibrage. La haute température (environ 2000» appliquée sur la préforme fait fondre la silice. Un brin de fibre est alors tiré du bout de la préforme à une vitesse de l'ordre du kilomètre par minute. Cette fibre est ensuite enduite d'un polymère sous forme liquide (couche protectrice). Quand elle est finalement enroulée sur un tambour, elle mesure plusieurs centaines de kilomètres. (une préforme de 10 cm de diamètre et d'un mètre de long donnera une fibre optique de 150 kilomètres de long et quelques micromètres d'épaisseur). Selon un autre aspect, l'invention concerne des fibres optiques, notamment des fibres laser ou amplificatrices comprenant un verre à base de silice tel que défini ci-dessus. Selon un autre aspect, l'invention concerne une préforme comprenant un verre à base de silice tel que défini ci-dessus, notamment une préforme utile pour la préparation de fibres optiques. Selon encore un autre aspect, l'invention concerne l'utilisation des verres à base de silice tels que définis ci-dessus pour le confinement de déchets radioactifs, notamment les déchets de haute activité. Par « déchet de haute activité » on entend des déchets dont la radioactivité est de l'ordre de 1012 Bq/g. Il s'agit principalement des déchets issus du réacteur, i.e le combustible usé des centrales nucléaires qui contient généralement une proportion importante d'ions terres rares.
Les verres de silice selon la présente demande sont particulièrement avantageux en ce qu'ils permettent de solubiliser les ions terres rares et donc d'augmenter la quantité de déchets radioactifs confinée dans lesdits verres. Selon un autre aspect, l'invention concerne des verres nucléaires, Le des verres utiles pour le confinement de déchets radioactifs, comprenant un verre à base de silice tel que défini ci-dessus. Figures Figure 1 : Spectre HYSCORE des préformes A et G à base de verre SiO2-Al203-P205 dopés par Yb3+ Figure 2 : Signal d'émission coopérative à 500 nm des ions Yb3+ pour les préformes A et G. Figure 3 : Projection des spectres HYSCORE des préformes A à G. Figure 4 : Spectres de luminescence coopérative pour les préformes A à G. Exemples Après avoir établi les compositions des verres étudiés, les techniques spectroscopiques utilisées seront décrites et les résultats obtenus analysés. La corrélation claire obtenue en confrontant les résultats par RPE et luminescence coopérative permet d'aboutir à la conclusion que le phosphore dissout plus efficacement les ions ytterbium que l'aluminium. 1. Echantillons étudiés Les échantillons sont des préformes de fibre optique synthétisées selon la méthode de dépôt de vapeur chimique modifiée (Modified Chemical Vapor Deposition MCVD). Elle consiste à utiliser un tube creux de silice pure mis en rotation, à l'intérieur duquel des flux de différents gaz (appelés précurseurs) circulent. Simultanément, le tube est chauffé à l'aide d'un chalumeau mobile se déplaçant en translation le long du tube. Un matériau poreux est alors formé. La seconde étape, l'imprégnation, permet d'introduire les ions terres rares par voie liquide. Ces ions s'insèrent dans le poreux. A la fin de cette étape, la préforme est une nouvelle fois chauffée puis refroidit brutalement. Cela permet le rétreint de la préforme puis sa vitrification. Les pourcentages molaires en élément dopant Al, P et Yb sont donnés dans le tableau ci-dessous: A B C D E F G Al 2,46 2,44 2,58 2,42 2,25 1,6 0,72 P 0,9 1,21 1,85 1,97 2,27 2,88 2,71 Yb 0,08 0,09 0,07 0,07 0,08 0,07 0,09 P/Al 0,37 0,50 0,72 0,81 1,01 1,80 3,76 (Cp-CAS)/CTR -19,5 -13,7 -10,4 -6,4 0,2 18,3 22,1 2. Résonance Paramagnétique Electronique (RPE) La spectroscopie HYSCORE (Hyperfine Sublevel Correlation Experiment) est une technique de RPE pulsée à 2 dimensions permettant d'extraire l'environnement local des ions paramagnétiques (Yb3+) à partir du couplage entre spins électroniques et spins nucléaires. La nature des atomes au voisinage de l'ytterbium est repérée sur les spectres 2D à partir de leur fréquence de Larmor (Figure 1). Le spectre de l'échantillon G montre qu'une forte quantité d'Yb3+ est au voisinage du phosphore (tâche à 6MHz). En revanche, le spectre de l'échantillon A indique que les ions Yb3+ se trouvent majoritairement au voisinage du silicium (tâche à 3MHz). Sachant que la silice dissout très mal l'ytterbium, il est montré indirectement la présence de clusters dans cet échantillon. 3. Luminescence coopérative La luminescence coopérative est un processus par lequel 2 ions à l'état excité se désexcitent simultanément en émettant un seul photon de fréquence double (500 nm). L'efficacité de ce processus étant proportionnelle à d-8 avec d la distance entre les 2 ions excités, le signal de luminescence coopérative est proportionnel aux nombres de paires d'ions dans le verre et permet donc de sonder la présence de clusters. Le signal d'émission coopérative à 500 nm des ions Yb3+ a été enregistré pour les préformes A et G (Figure 2). Cette figure confirme bien le résultat HYSCORE à savoir que l'on est en présence de clusters pour un ratio Al/P>1 et qu'un ratio Al/P<1 permet de dissoudre efficacement l'ytterbium. 4. Corrélation RPE et luminescence coopérative pour toute la série d'échantillons La série d'échantillons confirme le résultat : o pour des rapports (Cp-CAI)/CTR<O (A, B, C, D), les spectres HYSCORE montrent la présence de silicium au voisinage de l'Ytterbium et la luminescence coopérative est intense (présence de cluster). o Pour des rapports (Cp-CAI)/CTR~O (E), la luminescence coopérative reste intense (présence de clusters). o pour des rapports (Cp-CAI)/CTR>10 (F, G), le signal du silicium sur les spectres HYSCORE ainsi que le signal de luminescence coopérative diminuent fortement.
En conclusion, le rapport (Cp-CAI)/CTR conditionne la quantité de clusters d'ytterbium. Un excès de phosphore est plus efficace qu'un excès d'aluminium pour disperser les ions Yb3+ dans les verres SiO2-Al203-P205.
Références bibliographiques [1] K. Aral et al, J. Appl. Phys 59, 3430 (1986) [2] S. Sen et al., Phys. Rev. B 74, 100201 (2006) [3] M. E. Likhachev et al. Quant. Elec. 40, 633 (2010) [4] A. Monteil et al. J. Non-Cryst. Solids 348, 44 (2004) [5] S. Jetschke et al., Opt. Express 16, 15540 (2008) [6] Rare Earth Doped Fiber Lasers and Amplifiers, edited by M. J. F. Digonnet (Marcel Dekker, New York, 2001)